lundi 30 mai 2011

Hormone de croissance : un scandale scientifique et humain

117 morts, c’est le triste bilan, établi à ce jour, de ce que l’on nomme désormais « le scandale de l’hormone de croissance »
Comment, entre 1982 et 1986, en France, des enfants traités avec une hormone spécifique, prescrite pour des troubles de croissance, ont-ils pu etre contaminés par la maladie de Creutzfilt-Jakob ? c’est ce qu’a tenté de déterminer le procès qui s’est achevé en janvier dernier par la relaxe de six prévenus, médecins et chefs de service en responsabilité au moment des faits. Un verdict qui ne satisfait personne, et surtout pas les familles des victimes.
Des faits accablants. Au début des années 80, les parents d’enfants atteints de nanisme ou de très petite taille se voyaient proposer un traitement présenté comme miraculeux.
Une cure à base d’injections d’hormones dites de croissance collectées sur des cadavres puisque l’on ne savait pas alors fabriquer des hormones de synthèse. Les enfants gagnent effectivement quelques centimètres mais le jeu en vaut-il la chandelle ? C’est en 1991 que l’alerte est donnée par les parents d’un enfant qui a contracté la maladie de Creutzfeldt Jakob après avoir suivi un traitement à l’hormone de croissance ils portent plainte avant même que la mort ne frappe leur fils, après de terribles souffrances. Hélas, on ne tarde pas à s’apercevoir que ce cas est loin d’être isolé. Le décompte macabre fait aujourd’hui état de 117 morts dues aux même causes.
Une suite de comportements irresponsables
Tandis que d’autres patients ayant aussi subi le traitement dans la période à risque (de 1982 à 1986) se demandent encore si la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne se cache pas au fond d’eux. La justice s’empare de l’affaire, l’instruction est patiemment menée par la juge Marie-Odile Berthella-Geffroy durant seize ans.
Elle n’est pas vraiment faite pour conforter ceux qui voudraient croire en la qualité et l’honnêteté de la médecine de notre pays. Elle met en effet au jour un système ou la logique du profit semble prévaloir sur la sécurité des maladies. Une suite de comportements irresponsables, du plus bas au plus haut niveau, qui fait singulièrement penser à la tristement fameuse affaire du sang contaminé.
Il est aujourd’hui établi que la collecte des hypophyses contenant les hormones de croissance s’effectuait de façon extrêmes risquée, voire artisanale, dans les morgues ou les hôpitaux. Et ceci souvent par des employés qui ne se soucient que d’augmenter ainsi leur salaire.
De surcroit, les médecins responsables n’écoutent pas les avertissements sur les dangers de telles pratiques.
Ils ne retranchent derrière leu prétendu savoir et continuent d’affirmer que les modes d’extraction des hormones ne présentent aucun risque. Pourtant, ils auraient du tenir compte de la mort d’un américain traité à l’hormone de croissance en 1984. Ce qui entrainera l’année suivante la plupart des pays occidentaux, Grande-Bretagne et Etats-Unis compris, à interdire l’extraction de l’hormone sur des cadavres. La France, elle, attendra encore trois ans !
Responsables, mais pas coupables
Pire, le professeur Luc Montagnier, autorité reconnue dans le monde médical, ne sera pas entendu lorsqu’il mettra en avant les risques du traitement… responsables, mais pas coupables ?
Il est vrai que les avertissements se heurtent à des attitudes fermées refusant de remettre en cause des connaissances médicales érigées en dogmes. Et, il faut bien le dire aussi, des intérêts financiers conséquents dont profite l’association chargée de  la collecte des hypophyses, le laboratoire  qui les fabriquait et les instances étatiques responsables de la pharmacie et du médicament.
Mais la ténacité de la juge Marie-Odile Berthella-Geffroy lui permet d’inculper, malgré la disparition de dossiers compromettants,  six médecins et pharmaciens ayant eu d’importantes responsabilités dans la prescription et la collecte des hypophyses. Elle les accuse « d’homicides involontaires et de tromperies aggravés » Jean-Claude Job, président de France Hypophyse (association qui s’occupait de la collecte des hormones) à qui l’on reproche d’avoir poussé à l’accroissement  des prélèvements, au sein même d’établissements à risques est décédé avant le procès. Mais sur le banc des accusés, on trouve : Fernand Dray, biochimiste responsable de l’extraction et de la purification de l’hormone dans son labo de l’institut Pasteur ou, selon l’enquête. « Les règles élémentaires de prudence faisaient défaut ». Henri Cerceau, directeur de la pharmacie centrale des hôpitaux de 1981 à 1991. Il est soupçonné de ne pas avoir respecté les règles de sécurité en vigueur. Marc Mollet, chef du service de la distribution aux particuliers est lui aussi accusé de manque de vigilance Jacques Dangoumau, directeur de la pharmacie et du médicament au ministère de la santé de 82 à 87 et membre du Conseil d’administration de France hypophyse, est accusé de négligences. Elisabeth Mugnier, pédiatre responsable de la collecte des hypophyses dans les hôpitaux, est accusée d’avoir cherché à multiplier le nombre de prélèvements « au détriments de la qualité et de la sécurité ». Micheline Gourmelen, médecin est accusée d’avoir contribué à la mort du jeune Sébastien Birolo en 97. Pour lui avoir prescrit « sans raison médicale » de l’hormone de croissance.
Un nouveau jugement rendra-t-il justice aux failles des victimes
Cependant, le verdit rendu par la justice est discutable Malgré la gravité des faits, l’instruction accablante pour les accusés, la justice française choisit de prononcer la relaxe. Le tribunal estime que l’enquête « ne permet pas d’affirmer que ceux qui participaient au cycle d’élaboration et de distribution de l’hormone de croissance avaient conscience à partir de 1980  d’exposer les malades au risque de contamination par la maladie Creutzfeldt-Jakob ».
Maigre consolation pour les familles des victimes, la justice retient une responsabilité civile pour Elisabeth Mugnier et Fernand Dray. Ils devront verser des dommages et intérêts. Jeanne Goerrian, présidente de l’association des victimes n’a pas hésité à qualifier ce verdit de « scandale ».
Le parquet a décidé de faire appel de la relaxe de Fernand Dray. Marc Mollet et Elizabeth Mugnier contre qui le procureur avait réclamé des peines assorties d’emprisonnement avec sursis. Un nouveau jugement rendra-t-il justice aux familles des victimes ?
Réf : science magazine, pages 72.73, mai 2011

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