lundi 13 juin 2011

Aujourd’hui le retour des farines animales ?

Aujourd’hui, le principe de précaution a plutôt mauvaise presse : qu’on le néglige, et c’est un scandale. Qu’on l’impose trop vite, et c’est une gabegie. Que des biologistes étudient un virus de la vigne en cultivant des plants OGM, et ils sont saccagés au nom du principe de précaution. Que le ministère de la santé commande 94 millions de doses de vaccin contre une grippe qui très vite s’essoufflera, et son emploi abusif est dénoncé. Mais qui se souvient que cet omniprésent principe de précaution est entré dans les mœurs à l’occasion de la crise de la vache folle ? et surtout… que c’est lui qui est venu à bout de l’épidémie !
Dès le début de la crise, la cour de justice européenne l’a évoqué pour justifier l’embargo sur la viande bovine britannique : ‘’Lorsque des incertitudes subsistent quant à l’existance ou à la portée des risques pour la santé des personnes, les institutions doivent prendre des mesures de protection sans avoir à attendre que la réalité et la gravité des risques soient pleinement démontrées.’’linterdiction faite en son nom des importations de viande de bœuf, de la commercialisation des morceaux à risques et de l’emploi de farines animales-meme si elle est intervenue quelques mois trop tard selon les lanceurs d’alertes- a limité les dégats et permis de juguler l’épidémie. En 2005, le président Jacques Chirac va d’ailleurs jusqu’à inscrire le principe dans la constitution française. Une manière de prendre acte de l’impact psychologique de cette crise qui révéla au grand public des pratiques insoupçonnées.
Grande ménage dans l’industrie
A l’époque, le principe de précaution n’a pas seulement permis de contenir l’épidémie : il a dépassé ce cadre pour initier un grand ménage dans l’industrie agroalimentaire. Dès 1996, la commercialisation des cervelles des bœufs de plus de 6 mois est interdite, comme l’incorporation de tissus à risques d’origine bovine dans les aliments pour bébés et les compléments alimentaires. La liste des ‘’matériels à risques spécifiés’’ compte aujourd’hui encore la cervelle, les yeux, la moelle épinière, les amygdales et une partie de l’intestin des vaches. ‘’tout le système agroalimentaire a dû faire un effort pour ne plus mettre n’importe quel abat dans la biande hachée ou les raviolis’’, résume Jeanne Brugère-Picoux, de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort. Et l’agroalimentaire n’est pas seule concernée : industries pharmaceutique et cosmétique ont aussi dû revoir leurs préparations. Et le milieu médical ses pratiques. Les conditions de stérilisation du matériel ont été redéfinies en 2001, et les opérations chirurgicales sur le système nerveux ou les intestions font l’objet d’un suivi rigoureux. Pour Stéphane Haik, neurologue à la Salpztrière : ‘’ La crise a permis une amélioration globale de la gestion du risque infectieux. On a amélioré la décontamination, la traçabilité… le nombre d’infections nosocomiales a baissé. ‘’les transfusions font également l’objet de règles renforcées : aucun test sanguin n’étant assez fiable pour détecter la présence de prions anormaux, tout donneur potentiel à risques est écarté.
Mais qu’en est-il de toutes ces précautions maintenant que le risque est retombé ? quelques-unes des règles édictées il y a dix ans, très contraignantes, ont été assouplies sur la base de rapports scientifiques montrant qu’elles étaient devenues superflues. Depuis 2009, l’age à partir duquel un bovin sortant de l’abattoir doit subir un dépistage est ainsi passé de 30 à 48 mois. Et les troupeaux touchés ne sont plus détruits en totalité : n’est concernée que la ‘’cohorte’’ de l’animal malade, c’est-à-dire les animaux du troupeau nés dans les douze mois précédant ou suivant sa naissance et ayant consommé les memes aliments.
Peut-on aujourd’hui alléger davantage ces mesures sans risquer un retour de la maladie ? le législateur l’envisage sérieusement comme en témoigne la  ‘’feuille de route n° 2 pour les EST’’ (encéphalopathies spongiformes transmissibles) émise par la commission européenne l’été dernier. Parmi les ‘’futurs choix stratégiques’’ envisagés, on autoriserait à la consommation les animaux d’une cohorte touchée, pourvu que leurs tests de dépistage soient négatifs. Mais la plus emblématique, et la plus semsible, des mesures qui pourraient etre remises en cause concerne les farines animales.
Dans l’union européenne, depuis le 1 janvier 2001, leur utilisation à des fins alimentaires est interdite, à quelques exceptions, comme la consommation de farines de poisson par les non-ruminants. Les énormes quantités de déchets d’équarrissage produites par l’élevage servent donc désormais de combustible…pour la cimenterie. Un gachis, selon les éleveurs, mais aussi de plus en plus de scientifiques. Car les protéines animales présentes dans ces farines ont dû etre remplacées par protéines végétales, dont la production consomme eau et pesticies. ‘’je suis pour le retour des farines de viandes et d’os, martèle Jeanne Brugère-Picoux, qui fut une des premières à réclamer leur interdiction chez les ruminants. Elles représentent un bon apport protéique, notamment pour le porc qui est omnivore. Mamis il faut faire des farines propres.’’
Les dérives d’un principe difficile à manier
La commission européenne envisage donc de lever l’interdiction, mais uniquement pour les non-ruminants, et en évitant le recyclage intraspécifique. Il s’agirait par exemple de nourrir les porxs avec des farines issues de volailles et vice versa. Les bovins resterraient exclus de ce recyclage et une traçabilité exemplaire serait requise. Mais la population acceptera-t-elle ces concessions au principe de précaution… qui reste un outil difficile à manier. ‘’dans la crise de la vache folle, on a aussi vu les dérives du principe. Le risque semble avoir été surestimé. Or cela a un cout’’,  prévient Nicolas Treich, économiste à l’Inra. ‘’linterprétation du principe de précaution pose deux problèmes : soit on attend trop et on s’expose à ce que la situation s’aggrave, soit on agit trop tot et trop fort. Il faut chiffrer le cout de la réaction et comparer ce chiffre à la gravité du risque. L’argent dépensé dans la prévention d’un risque ne sera pas mis dans la prévention d’un autre. Surestimer un risque peut aussi etre criminel.’’ La feuille de route de la commission ne dit pas autre chose : ‘’il importe que, dans l’élaboration de notre future stratégie, nous ne perdions pss e vue les autres menaces pour la santé animale et publique apparues ces dernières années, telles que les salmonelles et la résistance aux antimicrobiens. Au vu de l’évolution encourageante de la situation de l’ESB, il vaut la peine d’examiner attentivement les possibilités qui nous permettront de nous concentrer sur ces autres menaces.’’
Principe de réalité contre principe de précaution, l’arbitrage se fait plus délicat quand le risque parait s’éloigner. Decideurs et scientifiques devront mettre en place des garde-fous suffisants pour que les leçons tirées de ces quinze dernières années ne se perdent pas. Pour que la fin de la crise ne signifie pas la fin des précautions, et que les vaches folles ne restent qu’un douloureux souvenir.
Réf : magazine science & vie, page 110, mars 2011

SIDA, un vaccin semble enfin concluant

Vingt-cinq années de recherche sur le vaccin contre le sida commencent enfin à payer. Près de dix-huit mois après l’espoir soulevé par le candidat-vaccin ‘’thai’’ en 2009 (voir S&V n°1106, pa.98), une nouvelle piste très prometteuse vient de démontrer son intérêt… et cette piste est française. Car là ou l’essai thaïlandais recourait à deux concepts anciens qui, même combinés, ne conféraient qu’une protection de 44% en moyenne, ce nouveau candidat est un vaccin de seconde génération, basé sur une compréhension poussée des mécanismes biologiques de l’infection par le VIH, surtout, les premières données, chez cinq macaques femelles, ne suggèrent rien moins qu’une protection de 100% ! ces 100% de protection, même la conceptrice du vaccin, la chercheuse Morgane Bomsel, de l’institut Cochin à Paris, n’osait en rêver.
Jamais de tels résultats n’avaient été observés, même chez le singe. ‘’les cinq femelles vaccinées ont été protégées, alors que les cinq ayant reçu le placebo, un produit ne contenant aucun principe actif, ont été infectées. ‘’C’est que le protocole consistait à exposer plus de 13 fois les muqueuses vaginales à de fortes dose de SHIV, un virus ‘’chimère’’ qui mélange des gènes e l’enveloppe du VIH à ceux du SIV, le virus de l’immunodéficience simien. Pour la première fois donc, un vaccin est parvenu à induire une protection au niveau des muqueuses, portes d’entrée du virus dans l’organisme, dont la biologiste est une des rares spécialistes mondiales. Autre avancée : dans cette étude, il n’y a pas eu besoin que des anticorps circulent dans le sang, alors que leur production était jusqu’alors l’objectif des vaccins précédents… avec une efficacité bien en deçà des résultats escomptés.
Premier test chez la femme
L’histoire démarre il y a quatre ans. Morgane Bomsel identifie au Cambodge, chez des couples sérodifférents et des prostituées, des femmes qui restent séronégatives bien qu’elles soient fréquemment exposés au VIH. Son équipe repère que ces femmes possèdent des anticorps dirigés contre un fragment bien particulier de la protéine gp41 du virus. Ce qui attire leur attention, c’est que ces anticorps semblent protecteurs, alors que la majorité des anticorps habituellement produits lors d’une exposition au virus ou à des fragments du virus ne le sont pas. Ce sont donc des fragments de gp41, très finement caractérisés, que l’équipe a introduits dans son candidat-vaccin, et qui ‘’semblent être une des clés de son efficacité’’, note la chercheuse. Son mode d’administration ? Deux injections intramusculaires et deux administrations par spray nasal. ‘’ Pour induire une réponse au niveau des muqueuses, le candidat-vaccin doit être administré dans une muqueuse. Car il se trouve que chacune d’entre elles est inductrice de l’immunité des autres muqueuses à laquelle elle est reliée par le système lymphatique : les cellules induites dans le nez circulent jusqu’au vagin, ou elles peuvent produire leurs anticorps. L’intramusculaire, elle, booste le système et est aussi reliée au vagin, par une voie encore inconnue’’.
Particulièrement prometteurs, ces résultats laissent malgré tout planer quelques incertitudes. Les essais ont été menés sur des muqueuses ‘’saines’’ ; le nombre d’animaux testés était faible ; et la réponse immune induite par le vaccin n’a pas été vérifiée au-delà de six mois. Par ailleurs, on se rappellera que  de nombreux candidats-vaccins ont déjà été abandonnés au cours des passages du modèle pour singe à l’être humain…
Il n’empêche, une première étude a été menée chez la femme pour vérifier la façon dont le vaccin est toléré (ce qui ne devrait pas poser de problème, car la partie immunisante du vaccin est portée par un vecteur déjà utilisé chez l’être humain), et surtout pour vérifier si les anticorps espérés ont bien été produits. Les premiers résultats semblent particulièrement encourageants, mais ils ne seront toutefois connus précisément qu’au printemps.
 Réf : magazine science & vie, N° 1123, page 42, avril 2011