jeudi 2 août 2012

Des protéines à la sensation de satiété

Les protéines alimentaires, qu’on trouve notamment dans la viande, le poisson, les œufs et certains produits céréaliers, coupent la faim plusieurs heures après le repas. On parle de satiété – à ne pas confondre avec le rassasiement, qui est immédiat et provoqué par la tension de l’estomac et la sécrétion de diverses hormones. Grâce à leurs travaux sur des rats et des humains, Gilles Mithieux, de l’INSERM, et ses collègues ont précisé les interactions compliquées entre le système digestif et le cerveau à l'origine de la satiété.

Lors de la digestion, les protéines sont fractionnées en peptides dans l’intestin. Ces peptides traversent la paroi intestinale, passent dans le sang et arrivent dans la veine porte (située entre les organes digestifs et le foie). L’intérieur de cette veine est tapissé de nerfs, qui traversent sa paroi et remontent jusqu’à diverses aires cérébrales via la colonne vertébrale. Les peptides se fixent sur des récepteurs dits μ-opioïdes localisés sur certains de ces nerfs. Ces récepteurs, abondants dans le cerveau, étaient connus pour leur implication dans les effets antidouleurs de la morphine, mais on ignorait leur présence dans la veine porte et leur sensibilité aux peptides.

La fixation des peptides sur les récepteurs μ-opioïdes entraîne l’envoi d’un signal nerveux environ cinq heures après le repas. Le cerveau y répond en déclenchant dans l’intestin un mécanisme nommé néoglucogenèse. Il s’agit d’une synthèse de glucose à partir de substrats également issus de la digestion des protéines. À l’instar des peptides un peu auparavant, le glucose passe dans le sang et atteint la veine porte, où il est détecté par des récepteurs sur des nerfs tapissant la paroi interne. Ces nerfs sont connectés à des aires cérébrales commandant la sensation de faim, tel l’hypothalamus, aires qui engendrent alors un sentiment de satiété.

Quel est l'avantage d'un mécanisme aussi compliqué par rapport à un signal direct ? Il agit plus longtemps après le repas, et c’est le seul mécanisme physiologique connu qui permette cet effet coupe-faim différé. Selon G. Mithieux, il pourrait avoir été sélectionné à une époque où les hommes étaient chasseurs-cueilleurs. Ils alternaient alors entre des festins de protéines (sous forme de viande animale) et des jeûnes drastiques. Pendant ces longues disettes, ils devaient supporter la faim. C’était d’autant plus vital qu’une faim trop intense peut empêcher de dormir, et que l’organisme supporte encore moins bien la privation temporaire de sommeil que celle de nourriture.

La compréhension du mécanisme de satiété pourrait aider à lutter contre l’obésité : l’identification du rôle clef des récepteurs μ-opioïdes permettra peut-être de trouver des molécules particulièrement efficaces, et moins caloriques que les protéines, pour déclencher le signal aboutissant à l’effet coupe-faim. De nombreux régimes alimentaires préconisent déjà des repas hyperprotéinés. Attention toutefois à ne pas en abuser. « Trop sollicités, les récepteurs μ-opioïdes peuvent devenir insensibles. En outre, les régimes qui font perdre du poids rapidement et de façon importante sont voués à l’échec à moyen et long termes, car ils entraînent diverses adaptations physiologiques, qui commencent à être bien identifiées », indique G. Mithieux.