Je vous propose de prendre le mot « choc » dans le sens de « crise », c’est-à-dire quelque chose de brutal, violent, inattendu… Une crise : « une aggravation soudaine d’un état, d’une situation problématique ». Pour se représenter de manière visuelle ce que je qualifie de « crise », on peut penser à l’effet que l’on obtient quand on jette un caillou dans l’eau : une série de jolis ronds à partir du point d’impact, qui s’élargissent et s’éloignent de plus en plus, pour revenir peu à peu à la situation normale d’origine.
J’ai été amenée à aller fréquemment à Istanbul donner de la formation et j’y ai appris beaucoup des réactions des participants face aux tremblements de terre. Ils étaient professeurs, psychologues, formateurs, conseils, médecins, parents… et ont tous eu à vivre de manière « proche » les conséquences de ces drames. Je les ai beaucoup écoutés sur la manière dont ils ont vécu et traversé ces événements et sur celle des personnes directement concernées dans leur chair qu’ils ont été amenés à rencontrer et soutenir. Et comme m’a dit une connaissance qui travaillait à l’époque là-bas : « Tu vois, tu as ta famille, ta maison, tes amis, ton boulot et tout d’un coup, tout s’écroule, tu n’as plus rien… ». C’est ça qu’ils ont vécu. Ils étaient chacun dans leur activité, dans leur vie normale, et un jour, en une fraction de seconde, pour eux, tout s’est écroulé. C’est cet instant-là que j’appelle « le choc ».
C’est quelque chose de particulier que nous ne pouvons pas vivre de manière habituelle. Ce n’est pas : « J’ai trois mois pour préparer mon départ à la retraite ». Si vous prenez l’image du tremblement de terre, ce qui se passe pour nous, c’est que nous sommes installés tranquillement, nous vivons notre vie, avec de petits stress, ce sont de petites crises mais ce n’est pas « La » crise, dans le sens dont nous en parlons ici. Certains d’entre nous accompagnent des personnes au départ à la retraite, à un changement de job, certains d’entre nous accompagnent des gens dans ceci ou cela et ils ont largement le temps de s’y préparer ; l’« avant l’instant du passage » prend du temps pour se préparer et donc aussi pour préparer « l’après ». Ce qui m’intéresse ici, dans mes propos, c’est l’instant très spécifique où : « J’étais tranquille, je vivais ma vie relativement normalement avec ses aléas et tout d’un coup tout s’écroule pour moi ».
Dans nos divers domaines d’intervention, spécialistes des relations humaines et/ou des organisations, nous sommes concernés par trois niveaux d’intervention possible, en fonction de l’endroit où le choc a eu lieu :
✓ Sur l’organisation elle-même en tant que structure (entreprise, hôpital, association…).
✓ Sur le groupe (l’équipe de collègues, la famille…).
✓ Sur l’individu lui-même en tant que personne (le client, l’élève, notre enfant…).
Chacun de ces niveaux pouvant se décrire comme un système vivant, en interaction avec les autres niveaux. Et de ce fait, nous avons aussi à prendre en compte la répercussion de ce choc sur « l’environnement extérieur », qui va lui aussi entrer en résonance d’une manière ou d’une autre (le groupe auquel appartient l’entreprise, les autres services, le voisinage, le reste de la famille…). Ma position, par rapport à ces crises dans toute organisation, est que, tout en étant, à l’instant T, imprévisibles pour les personnes concernées, elles n’en restent pas moins « naturelles », dans le sens où elles ressemblent sur bien des points à ce que l’on rencontre dans la nature.
Examinons dans un premier temps les situations où le choc a déjà eu lieu quelque temps avant notre intervention.
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