Vitamine D, fer, vitamine A, calcium, oméga 3… On ne
compte plus les "aliments enrichis en…" sur le marché. Quels
produits ont droit à ces mentions ? Consommer ces aliments est-il un vrai
plus ou est-ce inutile ? Les éclairages du Pr Irène Margaritis, chef
de l'unité nutrition à l'Anses et du Dr Pascale Modaï, nutritionniste.
Dans l'ensemble, nous n'avons pas besoin de consommer
des aliments enrichis. Certains se révèlent toutefois intéressants pour des
populations particulières susceptibles d'avoir des insuffisances d'apport
spécifiques.
Aliments enrichis : une nouvelle réglementation
Un aliment est dit enrichi lorsque des nutriments (vitamines,
minéraux)
ou autres constituants (omégas 3,
ferments lactiques, fibres…)
ont été ajoutés au cours de sa transformation. "Depuis l'harmonisation
européenne, tous les aliments peuvent être enrichis en vitamines, minéraux ou
autres micro-nutriments autorisés" explique le Pr Irène Margaritis, chef
de l'unité nutrition à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de
l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).
"Avant,
en France, seuls les aliments diététiques pouvaient être enrichis, ce qui
ciblait une certaine population" ajoute-t-elle. Côté réglementation, les
formes chimiques autorisées font l'objet d'une liste. "Elles ne doivent
pas être toxiques et être bio-disponibles" indique notre experte.
"Mais
cela n'est pas le cœur du problème, le point sensible est la quantité de ces
éléments" souligne-elle. En effet, normalement, on enrichit les aliments
pour aider les gens en déficit à atteindre les ANC
(apports nutritionnels conseillés) ou les BNM (besoins nutritionnels moyens).
Comme tout aliment peut être enrichi aujourd'hui, se pose la question des
niveaux limites d'enrichissement.
"L'Anses
a fait des simulations pour voir jusqu'à ce quel niveau d'enrichissement on
peut aller : l'objectif est qu'un consommateur ne dépasse pas les limites
de sécurité" explique le Pr Margaritis. D'autant plus que ces
aliments enrichis peuvent être cumulés à la prise de compléments alimentaires,
plus concentrés.
Ainsi
plusieurs spécialistes tirent la sonnette d'alarme concernant les éventuels
surdosages en vitamines par exemple. Une dose limite de sécurité a été
fixée pour
certaines
vitamines, dose à partir de laquelle la vitamine peut avoir des
effets néfastes. Et parfois, la dose de sécurité n'est pas loin de l'apport
conseillé.
Ces niveaux maximaux d'enrichissement sont d'ailleurs
en train d'être établis en France et en Europe.
Aliments enrichis : inutiles le plus souvent
"La consommation d'aliments enrichis chez une
personne qui n'a pas de déficit ne présente pas d'intérêt nutritionnel"
assure le Pr Margaritis. Or, d'après le Dr Pascale Modaï "sur le plan
médical, les vraies carences
ne sont pas si fréquentes que cela", ajoutant que normalement,
"avec une alimentation
variée, il n'y a pas de carence".
Même discours chez le Pr Margaritis : "Si on
mange diversifié et équilibré,
on n'a dans l'ensemble pas besoin d'aliments enrichis". Deuxième
message à retenir : "avant de penser aux aliments enrichis, il faut
déjà se tourner vers des aliments qui sont naturellement sources de…"
conseille le Dr Modaï.
Par exemple, si vous avez besoin de calcium,
consommez des laitages plutôt que du jus d'orange enrichi en calcium !
N'oubliez pas que "s'il y a du calcium en plus, cela veut dire qu'il
y a des calories en plus" rappelle la nutritionniste.
"Il faut vraiment écarter l'idée que le plus est
le mieux : en nutrition, quand on a atteint la quantité optimale qui
répond à nos besoins, même si on prend plus, on n'aura rien de plus »
souligne de son côté le Pr Margaritis. "Si on remplit un verre d'eau
plein, il déborde. C'est pareil pour l'organisme qui reçoit plus de nutriment
qu'il ne lui en faut : il le stocke, l'élimine mais ne s'en sert pas"
explique-t-elle. C'est comme cela que l'organisme risque de métaboliser trop de
vitamines. Ainsi, beaucoup d'aliments sont enrichis en vitamine B12,
alors qu'il n'y a pas de déficit dans la population globale. "C'est
aberrant, cela fait un nutriment en surplus dont on n'a pas besoin"
déplore le Pr Margaritis. Autre exemple : "si vous consommez
toujours des aliments enrichis en zinc,
vous risquez d'avoir un déficit en cuivre
car ils sont en compétition dans l'intestin" prévient-elle.
Aliments enrichis : intéressants dans certains cas
Il faut donc privilégier une approche
individuelle pour les aliments enrichis. Comme le souligne le Pr Margaritis,
"on peut avoir une frange de la population qui peut avoir des déficits
nutritionnels". Ils peuvent en effet être observés chez des
populations spécifiques pour qui les aliments enrichis peuvent présenter un
intérêt.
Les aliments enrichis en vitamine B9
peuvent être utiles pour les femmes en âge de procréer. Tout comme consommer
des produits enrichis en vitamine B12 peut être intéressant pour les personnes
âgées qui ne mangent pas de viande et sont donc en déficit de cette vitamine.
Un supplément en calcium peut être
bénéfique aux adolescents et aux femmes en âge de procréer qui peuvent en
manquer. "Les aliments enrichis en fer
peuvent aussi être utiles aux femmes qui sont souvent carencées" ajoute le
Dr Modaï. Une autre insuffisance d'apport répandue ? Celle en fibres.
Là-encore, des céréales
enrichies, par exemple, peuvent être intéressantes. Les personnes qui ne
mangent pas de poisson
pourront consommer des aliments enrichis en iode.
Oubliez par contre les aliments enrichis en omégas
3 : "Il faudrait consommer énormément de margarine
enrichie pour bénéficier d'un réel apport en omégas 3" explique le Dr
Modaï. Sachez tout de même que les aliments enrichis ne sont jamais
indispensables ! En effet, en cas de déficit nutritionnel, un apport
suffisant en aliments naturellement riches en nutriment approprié permet de
couvrir les besoins.
Dans tous les cas, avant de prendre
des aliments enrichis, le mieux est de prendre l'avis d'un professionnel de
santé qui saura vous dire si vous êtes à risque d'insuffisance d'apport -en
réalisant un bilan alimentaire- et qui pourra éventuellement vous proposer des
dosages afin de savoir si vous avez un déficit. Pas la peine de payer plus pour
des aliments qui n'ont pas un réel intérêt nutritionnel !
Publié par : Anne-Sophie Glover-Bondeau