Pour le malade qui vient d’apprendre un diagnostic létal, la ligne de pensée qui pousse à se reconnaître mortel est prédominante. Le discours médical et soignant dans son ensemble incite, tôt ou tard, à prendre en compte les limites de la réalité.
Tous les moyens sont bons pour signifier au patient la limite du pouvoir médical, mais aussi celle de l’humain, périssable, engagé dans une expérience limitée. L’heure est venue de se résoudre, de s’assujettir, de se résigner, d’accepter son destin d’être pour-la-mort. Ainsi, il ne reste au malade qu’une seule voie possible, celle qui consiste à « aimer et à désirer sa propre abolition ».
Cependant, comme nous venons de le voir, malgré la prégnance du discours médical rationalisant, le Moi reste divisé. Plus que jamais, le sujet se sait mortel, il est poussé à se résigner ; mais la part qui n’en veut rien savoir est encore potentiellement agissante. Son accès est difficile, c’est dans l’intime de la confidence, souvent dans l’irrationnel du discours, dans des constantes ambivalences, qu’il se peut que quelque chose s’ouvre du côté de l’espoir. C’est ici même que se situe, selon moi, la force de vie, c’est-à-dire la propension du sujet à ne pas se résigner totalement au discours qui l’entoure.
Cliniquement, le problème est le suivant : lorsque le raisonnement est essentiellement pragmatique et réaliste, c’est une logique de soin rationnelle et rationalisante qui se met tranquillement en place. Cette conception du soin et du rapport à l’autre pousse le patient à se confronter par avance à sa propre mort. Comme R.W.Higgins l’a déjà pointé : une logique palliative pragmatique attend du mourant deux choses essentiellement : « qu’il puisse parler de sa mort et qu’il l’accepte ». Dit autrement, le patient est sommé de faire le deuil de lui-même.
Je voudrais montrer ici en quoi cette obligation sournoise pour le patient de se confronter par avance à la représentation de sa mort constitue un forçage de la vie psychique. Dans les rencontres cliniques, toute injonction ou même insinuation dans le sens d’un dévoilement de ce point d’insaisissable est susceptible d’être psychiquement iatrogène. Comme le dit R. Zittoun, une parole anticipée sur la mort est susceptible de venir « briser les dernières résistances, sur lesquelles s’articulent les dernières énergies, ce qui reste d’espoir ». Parler de la mort, donc l’anticiper, revient à l’annoncer, c’est-à-dire à la faire psychiquement advenir. Ainsi, cette annonce « s’inscrit dans le dire formulé à une conscience, mais procède de l’effraction de l’inconscient ». Cette conception psychologisante du soin force la vie psychique et crée de toutes pièces un conflit insoluble. Elle dévoile ce que l’homme a de plus mystérieux et aussi de plus intime, ce que la dynamique même de sa vie psychique tend naturellement à cacher : le rapport à sa propre mort.
L’homme se sait mortel.Mais si nous acceptons l’hypothèse de l’inconscient et si nous prenons véritablement en compte que cette instance psychique ne connaît pas le temps : il se veut immortel. C’est cet aspect conflictuel et ambivalent de la vie psychique que la psychanalyse se propose de promouvoir dans ce champ. Ici, non seulement il est vain de tenter de faire le deuil de soi-même, mais également de chercher à préparer psychologiquement le patient à sa propre disparition.
Référence :
- Freud S. (1917, réédition 1985), « Une difficulté de la psychanalyse », in :
L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard, Paris. p 175-87
- Pédinielli JL (1987) Le « Travail de la maladie ». Psychologie médicale 19, 7 :
1049-5
- Del Volgo MJ, Gori R, Poinso Y (1994) Roman de la maladie et travail de formation
du symptôme. Psychologie Méditerranéenne 26 : 1434-8
- Pedinielli JL (1993) Psychopathologie du somatique : La « maladie du malade ».
Cliniques méditerranéennes 37-38 : 121-37